Martinique terre de musiques ?

Les Antillais sont réputés pour avoir la « musique dans la peau » et notre thème ici ne le démentira pas. La Martinique a vu sortir en son sein de nombreux artistes qui ont considérablement enrichi la musique locale et même réussi à être connus sur la scène internationale.

Ballet Pom'Kanel en représentation à Fort-de-FranceAinsi, une petite île méconnue d'un grand nombre d'habitants de cette planète va se révéler grâce à des hommes et des femmes qui ont valorisé cet art. La musique martiniquaise actuelle qui ressemble si fort à sa population d'aujourd'hui, à savoir métissée, a été enrichie au fur et à mesure des années par des influences caribéennes, européennes, africaines, américaines sans pour autant se détacher de sa base.

Dans le champ d'une musique caribéenne qui a su apporter au monde les rythmes de la salsa, merengué, bachata, reggae, dancehall, calyspo, soca, entre autres, la Martinique y a vu naître le bèlè, le chouval-bwa, le damyé, la biguine, la mazurka et bien sûr plus récemment le zouk, le dancehall, le soca entre autres.

Le rôle primordial de la musique chez les Amérindiens

Eh oui, la musique n'est pas née qu'au 20ème siècle avec les rythmes contemporains que nous connaissons ! Du temps des Arawaks/Taïnos, la musique occupait une place primordiale dans la vie. Elle était au cœur des rituels quotidiens. Ces derniers avaient leurs propres instruments et dansaient souvent au cours de cérémonies populaires.

Danseurs arawaks dessinés par l'artiste de 17ème siècle R.P LabatIls utilisaient la musique pour rappeler et raconter leur histoire, pour les fêtes et les évènements spéciaux, pour communiquer avec les guides spirituels les zemis, pour soigner les maladies, se protéger contre les sorts et forcer les tempêtes de Mère Nature.

Les Arawaks avaient aussi recours à la musique pour avoir de la pluie quand ils avaient besoin de bonnes récoltes, pour chasser et pêcher. En fait, la musique était un art primordial et l'un des plus beaux cadeaux qu'un Taïno pouvait offrir était une chanson.

Cependant, nous pouvons seulement deviner la forme de musique des Taïnos parce les chroniqueurs espagnols n'ont pas laissé beaucoup de détails. Elle était en général très simple et monophonique ce qui signifie qu'elle contenait une seule ligne qui descend son ton.

Il n'y avait pas beaucoup d'harmonie. Il y avait souvent des chansons entre un leader ou soliste et un chœur, ce qui signifie que le chœur chante dans la même ligne mélodique. Ces mêmes leaders chantaient un chœur répétitif.

Fray Ramón Pané, un moine catalan de l'Ordre de Saint-Jérôme qui a accompagné Christophe Colomb lors de son deuxième voyage, a été le premier à étudier la langue arawak et a rédigé un livre sur la civilisation arawak (Relación acerca de las antigüedades de los indios, Relation sur les antiquités des Indiens). Il y décrit un instrument à percussion appelé « mayohavau » que les Arawaks utilisaient durant leur rituels religieux. Il était fabriqué de bois fin et avait la forme d'une calebasse allongée. Il mesurait jusqu'à un mètre de long et un demi-mètre de large.

Le son produit par cet instrument était entendu sur une distance pouvant aller jusqu'à 7,5 m. Cet instrument était joué par les chefs de la tribu. Il accompagnait les chansons qui étaient utilisées pour transmettre les coutumes et les lois aux jeunes générations.

Areitos, des cérémonies socio-religieusesLes chants mythologiques, « areitos » étaient chantés pendant que des danseurs pouvant atteindre un millier se déplaçaient selon les battements d'un instrument à percussion fabriqué à partir de gourde, les güiros. Les areitos n'étaient pas que des chants, c'était aussi des danses dans une cérémonie que l'on pouvait qualifier de socio-religieuse. Des flûtes, faites de conques ou de roseaux étaient aussi visibles au cours des célébrations musicales, de même que le maracas (sorte de chacha), instrument différent de celui que nous voyons aujourd'hui.

Ces cérémonies ont été interdites après la conquête espagnole. Cela a causé la perte de la plupart des instruments et artefacts musicaux de la période Arawak. Ceux-ci n'ont survécu à la période coloniale qu'en étant cachés dans des grottes et autres cachettes à Porto Rico par exemple.

Les bals des colons et début de la musique créole

Après avoir été accostée par Christophe Colomb le 15 Juin 1502 au cours de son quatrième voyage, la Martinique et les autres îles des Petites Antilles n'intéressent guère les Espagnols qui préfèrent les grandes îles plus au nord de l'archipel antillais (Saint-Domingue, Porto-Rico et Cuba).

Pendant plus d'un siècle, la Martinique ne sera qu'une terre connue de l'Europe. Même quand après les Hollandais, Britanniques et Français s'intéressent à la conquête des petites îles, la Martinique avec son relief accidenté et montagneux n'était guère une priorité.

C'est le 15 Septembre 1635 que Pierre Belain d'Esnambuc, un flibustier normand avec une centaine d'hommes allait prendre la possession de l'île sous la commande de Richelieu l'intendant auprès du Roi de France. Dès lors, l'île devient une colonie française.

Jacques Dyel du Parquet, premier Gouverneur de l'île construit vite Saint-Pierre et en fait un bourg administratif et portuaire. Le développement économique de l'île sera rapide. Des zones entières sont défrichées pour y planter des cultures vouées à l'exportation en France. Le commerce devient vite prospère. En tant que chef-lieu, la ville de Saint-Pierre est dotée de tous les attributs et privilèges du pouvoir : résidences administratives et religieuses et écoles. Les revues militaires et fêtes civiques et religieuses ont un éclat particulier.

Après avoir eu recours aux engagés venus de métropole pour travailler dans les plantations c'est vers les esclaves venus d'Afrique que les colons allaient se tourner pour développer le système production de produits agricole en vue de l'importation sur les marchés européens.

Cette société devient très hiérarchisée entre le Blanc colon possesseur des richesses, puis le libre de couleur et au dernier grade l'esclave. Les modèles, les codes, us et coutumes des Européens étaient vus comme signe de prestige alors que ceux des esclaves étaient barbarisés.

Très tôt, la musique occupait une place importante dans la société coloniale. La musique religieuse et la musique militaire étaient les symboles du pouvoir de la classe dominante (musique de cour, de danse) ceux de sa puissance, sa supériorité en même temps qu'un élément de hiérarchie interne. Ainsi, la musique sera un outil pour les colons d'asseoir encore plus leur puissance et de contester et interdire les codes, attitudes, pratique des esclaves pour l'Église.

Les différentes expressions musicales : militaires, religieuses, savantes, populaires européennes et africaines trouveront leur place. De leur cohabitation naîtra la musique créole qui sera dès ses débuts le langage de l'esclave né et baptisé dans l'île.

La production musicale religieuse ou profane était très importante à l'époque. Le peuplement tardif des Antilles Françaises donne lieu à une situation musicale très spécifique. Essentiellement profane du fait que les colons vivant en Martinique au 18ème siècle étaient davantage intéressés par la musique lyrique. Les artistes sont nombreux et font des va-et-vient entre la métropole et la Martinique puis lors de la Révolution s'installent dans le reste de la Caraïbe et les États-Unis.

Menuet congoLes bals étaient nombreux et occupaient la plus grande place après le jeu. D'ailleurs dans ces derniers où tous participaient, on retrouvait souvent une émulation entre les musiciens militaires et les esclaves. Tous deux animaient. Les premiers effectuaient des danses de cour, menuets, gavottes, allemandes, branles, etc... tandis que les seconds effectuaient davantage des danses du Nouveau Monde : fandango, chacones, forlanes, menuets congos, etc... Ces dernières faisaient la joie des colons.

Le violon était souvent de sortie pour ces bals accompagné par tambour ou un tambour de basque qui était joué par les esclaves. Quand un esclave savait jouer de la trompette, il était tout heureux, de même que ses maîtres, de pouvoir jouer des voltes. Il réhaussait le prestige de la maison.

A la fin de la journée, les agents des compagnies et les riches colons aimaient jouer de la musique d'ensembles. Les femmes et les jeunes filles se mettaient au clavecin ou pianoforte et chantaient des airs de cours. Les hommes écoutaient et se faisaient applaudir.

Les moins fortunés occupaient leurs soirées à jouer des instruments pendant que les femmes et les jeunes dansaient.

Les danses étaient nombreuses et variaient selon les pays ou régions d'origine du colon. Elles sont généralement vives animées et sautées. Les danses favorites françaises étaient les branles et les voltes, les passe-pieds, les gavottes et les sarabandes. Il faut leur rajouter les danses d'origine africaine comme la « gigue des Nègres » ou le « menuet congo ». Les colons raffolaient de ces dernières bien qu'elles soient interdites par l'Église qui les qualifiait de « déshonnêtes ».

Quadrille français héritière de la contredanseEnfin, on finira ce chapitre pour parler des engagés qui seraient à l'origine de l'importation des contredanses sur le sol américain. Elles sont généralement originaire de la Seine-Maritime et la Bretagne toutes deux des régions longuement occupées par les Anglais. D'ailleurs, le nom original est « country danses » devenu plus tard contredanses.

La musique militaire

Musique militaire au 18ème siècleLes fêtes civiques et religieuses sont scrupuleusement respectées. Ainsi dans les un cérémonial strict on retrouvait d'abord les trompettes de cavaleries puis le tambour major sur la Place de la Savane au rythme des marches militaires. Ensuite, suivaient les chevaux de la cavaleries puis les régiments de la Marine et de l'Infanterie sur des symphonies exécutées par leur musiciens puis la milice précédée de ses deux tambours noirs.

Tout le cortège se dirige alors à la paroisse des Blancs où une grand-messe est chantée avec des intermèdes musicaux où la musique militaire exécute des symphonies. Plus tard, à l'hôtel du Gouverneur, administrateurs et notables portent la santé en l'honneur du Roi pendant que les trompettes jouent « l'Ordonnance » c'est à dire l'hymne royal.

La musique religieuse

Étant donné que le pouvoir était de droit divin et que les îles étaient acquises pour y apporter la foi, les musiciens de l'Infanterie ou de la Cavalerie sont de toutes les messes officielles, solennelles, toujours suivies de Te Deum, l'hymne symbolisant à la fois le pouvoir politique et religieux. Les œuvres interprétées restent inconnues.

Pour leur service quotidien, certains religieux avaient amené avec eux leurs chantres, les autres faisaient appel aux colons qui pouvaient en assurer la charge. Il y avait émulation entre chantre blancs et noirs. Chaque ethnie avait sa messe. Au cours de celle-ci une centaine d'esclaves étaient debout entrain de changer les principes du catéchisme et les prières en français.

Les cérémonies religieuses en Martinique n'étaient nullement différentes de celles qu'on pouvait voir à Paris. Les missionnaires veillaient à ce qu'elles aient la même solennité. Le système colonial en place forçait les esclaves à les exécuter aussi bien que celles de la métropole. Ainsi on retrouvait des motets, des cantiques, histoires sacrées, accompagnés par des instruments tels que la flûte, le violon, le hautbois ou encore l'orgue. D'ailleurs, l'accent était mis sur les cantiques, les histoires sacrées accompagnées par des instruments dans les débuts.

Au 18ème siècle, il apparaît nécessaire d'avoir une salle de spectacles où pourraient se produire les différents artistes. Cette idée est également soutenue par les autorités et prisée par les comédiens et musiciens d'Europe. Une salle de spectacles est d'ailleurs devenue indispensable :

Il n'y a point de promenades publiques ni de lieux pour se rassembler. Cette réunion est plus nécessaire qu'on ne pense: elle établit des liens entre les individus; elle remédie aux inconvénients de la vie isolée que chacun mène, elle polit.

Les esclaves et la musique

Arrivés d'Afrique à partir du 17ème siècle, les esclaves étaient une main d'œuvre servile dans les plantations de la Martinique. Ils y arrivent avec leur culture, musique, instruments, chants et danses...

La musique des esclaves vue comme un des moteurs de l'économie sucrière, était aussi un facteur de paix sociale. Cependant, l'Église réprimait fortement les rassemblements où les esclaves s'adonnaient à des danses et des chants car elle y voyait des célébrations en l'honneur des dieux païens. Les maîtres quant à eux les considéraient comme un moyen de préparer des complots contre eux et des rebellions futures.

L'animiste accordaient une très large place aux danses et chants sacrés et ceux-ci restaient les derniers ancrages de l'esclave avec les terres dont il avait été arraché. C'était le trait d'union entre tous les esclaves peu importe leurs terres origines. Chaque communauté en Afrique était régie par une société mère qui elle-même regroupait des sociétés sœurs. Chacune de ces dernières avait ses rites, ses chants et ses danses.

Les rythmes, les chants et les danses étaient indissociables. La musique était le langage privilégié. D'origine divine, l'Africain lui attribue tous les mérites.

Esclaves dansant dans le quartier des casesLa musique venue d'Afrique était une culture de « sauvages » pour l'élite locale, inférieure, dénuée de tout sens artistique, au contraire de la musique française et de celle de la bourgeoisie créole (blancs nés aux Antilles) qui étaient des « musiques savantes ». Aussi, dans les descriptions de l'époque, les danses et chants des esclaves étaient décrits par les écrivains de l'époque (souvent des membres du clergé ou des personnes instruites) comme étant des sombres moments de folie, des rassemblements désordonnés. Pourtant il apparaît bien qu'à l'époque, fortement empreints de leur Afrique natale, les esclaves et descendants d'esclaves appréciaient ces moments où ils pouvaient se réunir et se remémorer leurs terres dont on les avait arrachés.

Les instruments de musique

Le tambour

Certaines musiques que nous appelons aujourd'hui musiques traditionnelles de la Martinique sont venues d'Afrique qui ont été importées lors de la traite négrière. Ce sont majoritairement des musiques à base d'instruments à percussion, le chacha (sorte de maracas) et le tibwa (instrument formé de deux baguettes de bois et d'un morceau de bambou sur lequel on frappe). Mais quel rôle avait la musique dans la vie des esclaves à l'époque ?

Le tambour était un instrument emblématique des esclaves. Il y avait deux sortes de tambours avec des tailles et des usages différents. L'un était plus grave et chargé de donner une pédale rythmique plus longue et l'autre plus aigu destiné à évoluer rapidement selon des formules répétées ou non.

Pour fabriquer ces tambours, ils utilisaient des tonneaux, des bambous creux auxquels ils attachaient des peaux. Le musicien était assis sur son tambour. Cette vision semble proche de celle que l'on a actuellement sur les « tambouyés » (joueurs de tambour) de bèlè martiniquais.

Le banza

Banza, instrument de musique des esclavesAutre instrument souvent mentionné dans presque tous les documents du 18ème siècle, le banza qui a disparu sous cette forme aujourd'hui. Il a donné par évolution le banjo dont le nom dérive du banza. Un banza retrouvé par Victor Schoelcher d'Haïti en 1840 est aujourd'hui exposé au Musée instrumental de la Cité de la Musique à Paris.

Le banza est un luth originaire d'Afrique qui a été introduit aux États-Unis et dans la Caraïbe par les esclaves puis s'est vite développé. Il a été placé au premier plan dans les rencontres culturelles les musiciens africains et européens et ouvert la voix aux musiques afro-américaines (blues, ragtime, jazz, rhythm & blues, rock & roll et hip hop). Il a accompagné la plupart des musiques populaires américaines depuis la deuxième moitié du 19ème siècle.

Dans un livre de Richard de Tussac, un botaniste et naturaliste français, Le Cri des Colons il y décrit la vie des esclaves dans les plantations à Saint-Domingue et le banza qu'ils utilisaient pour lors de leur prestations musicales :

Quant aux guitares, que les nègres nomment banza, voici en quoi elles consistent : ils coupent dans sa longueur et par le milieu, une calebasse franche. Ce fruit à quelques fois huit pouces et plus de diamètre. Ils étendent dessus une peau de cabri, qu'ils assujettissent autour des bords avec des petits clous; ils font deux petits trous sur cette surface, ensuite une espèce de latte ou de morceau de bois grossièrement aplati, constitue le manche de la guitare. Ils tendent dessus trois cordes de pitre (espèce de filasse tirée de l'agave, vulgairement pitre); l'instrument construit. Ils jouent sur cet instrument des airs composés de trois ou quatre notes, qu'ils répètent sans cesse; voici ce que l'évêque Grégoire appelle une musique sentimentale, mélancolique; et ce que nous appelons une musique de sauvages.

Appelé différemment selon les colonies, le banza est mentionné dans des écrits sur la Martinique dès 1678.

L'anzarka

L'anzarka autre instrument à cordes venu d'Afrique qui modifié ressemblait à une guitare que l'on retrouvait souvent dans les moments festifs des Noirs dans les quartiers des cases de la plantation.

Les chants et les danses

L'importance de la musique

Le dimanche était la journée de repos des esclaves, ils avaient quartier libre et pouvaient consacrer leur temps à ce qu'ils souhaitaient faire comme activité. Ainsi, ils utilisaient bien souvent cette journée à la culture vivrière d'un petit lopin de terre laissé à leur disposition pour y planter des fruits et légumes destinés à leur consommation personnelle.

Danse des esclavesOn sait cependant qu'ils aimaient aussi retrouver dans des réunions festives où ils chantaient et dansaient comme l'illustre la peinture attribuée à Augustin de Brunias (1730-1796), un peintre italien mort sur l'île de la Dominique après avoir vécu trente ans aux Antilles. Ces moments joyeux leur rappelaient leur Afrique dont ils avaient été arrachés pour travailler dans les plantations aux Antilles.

Généralement, les femmes ne jouaient pas d'instrument. Cette tâche était le plus souvent réservé aux hommes. Les femmes quant à elle chantaient. Aux chœurs d'une ou deux chanteuse(s) principale(s) à la voix éclatante improvisant des chansons répondaient d'autres chanteuses, des danseurs, tambours et autres guitares.

Aussi, pour décrire le goût prononcé des esclaves pour la musique, Médéric Louis-Élie Moreau de Saint-Méry (1750-1819), juriste d'origine martiniquaise, un défenseur actif de l'esclavagisme et proche des Lumières écrit qu'il est « si puissant que le nègre le plus fatigué par le travail trouve toujours des forces pour danser ».

Les chants et les danses étaient présents à chaque instant de la vie des esclaves notamment lors des travaux des champs avec les danses communes des hommes ce que l'on appelle aujourd'hui « lasotè ». Le lasotè est une forme de danse où les travailleurs bêchent la terre en faisant un pas de danse à chaque battement de tambour.

Même lors de moments plus tristes comme les cérémonies funéraires, la musique était présente. Le banza était de sortie, de même que le tambour qui résonnait avant que tous ne partagent un repas commun.

Les danses

Calenda, danse d'esclavesConcernant les danses, elles étaient nombreuses mais c'étaient souvent les mêmes rythmes que l'on retrouvait d'une île à l'autre. L'une des danses de l'époque les plus connues est le calenda. Le calenda était une danse vive et animée que l'on retrouvait dans l'Amérique du Nord et la Caraïbe. Il est appelé chica à Saint-Domingue, congo à Cayenne, fandango en Espagne.

Suivant les endroits, son caractère est extrêmement voluptueux et lascif. Deux tambours, faits de morceaux de bois creux recouverts d'une peau de mouton ou de chèvre accompagnaient les danseurs alignés dans un cercle.

Sur chaque tambour est un nègre à califourchon, qui le frappe du poignet et des doigts, mais avec lenteur sur l'un et rapidement sur l'autre.

D'autres esclaves secouaient en même temps de petites calebasses garnies de cailloux ou de graines de maïs (ancêtre du maracas/chacha). L'orchestre était parfois complété par le banza.

La première personne à avoir mentionné les danses africaines dans des écrits, est le Père Labat qui l'a décrit en Martinique en 1694 dans l'un de ses ouvrages :

Les danseurs, hommes et femmes forment un cercle et sans remuer ils ne font rien que lever leurs pieds dans l'air et frappent le sol avec une sorte de cadence, tenant leur corps penchés vers le sol, chacun en face l'un de l'autre.

Ces danses ont voyagé de ports en ports, durant la période de l'esclavage. Elles ont donné naissance à d'autres danses, la sarabande et la chaconne à la Havane aux 16èmes et 17èmes siècles, le calenda et le bamboula au 17ème siècle, au 18ème siècle la chica et le tango puis enfin le mambo au 19ème siècle.

Les colonies britanniques interdisaient ces danses donc le calenda et le bamboula n'ont pas prospéré dans les sociétés de plantation en Virgine et en Caroline. De même, ils avaient interdit les langues africaines, les religions, les tambours et même les réunions publiques d'esclaves.

Autre danse, le vaudou qui était avant tout religieuse. Ce nom de vaudou est appliqué par les « nègres à un être surnaturel » qu'ils présentent sous forme de couleuvre, dont un grand-prêtre ou une grande-prêtresse interprète les volontés.

Les esclaves l'invoquent souvent pour lui demander de diriger l'esprit de leurs maîtres. Ils se livrent alors à des sortes de bacchanales dans lesquelles surexcités par les spiritueux, ils en arrivent à trembler violemment, à se mordre et enfin à perdre tout sentiment.

C'est dans les assemblées du vaudou que se tramaient fréquemment les complots. Chaque esclave faisait le serment de ne rien révéler, sous peine de devoir subir un terrible châtiment.

La danse à don Pèdre qui date de 1768 était plus violente. « Il n'était pas rare de voir des nègres tomber morts, parce qu'ils avaient bu en grande quantité du tafia, mélangé de poudre à canon écrasée. »

Enfin, il existait ce qui était appelé des contredanses.

Les nègres domestiques, imitateurs des blancs qu'ils aiment à singer, dansent des menuets, des contredanses, et c'est un spectacle propre à dérider le visage le plus sérieux que celui d'un pareil bal où la bizarrerie des ajustements européens prend un caractère parfois grotesque.

Les danses variaient selon l'origine des esclaves et leur condition :

Les Nègres de la Côté d'Or, belliqueux, sanguinaires, accoutumés aux sacrifices humains, ne connaissent que des danses féroces comme eux; tandis que le Congos, les Sénégalais et d'autres africains, pâtres ou cultivateurs, aiment la danse comme délassement, comme une source de voluptés.

A noter qu'à la fin de l'esclavage, dans des sociétés qui étaient très hiérarchisées et où la culture africaine était marginalisée, beaucoup de nouveaux affranchis ont laissé tomber ces danses considérées comme appartenant aux esclaves.

Dans « Des Colonies françaises. Abolition immédiate de l'esclavage », Victor Schœlcher raconte une scène :

Dans ces pays criblés de préjugés, hiérarchisés depuis le premier jusqu'au dernier échelon, tout ce qui rappelle la servitude à l'affranchi lui est odieux, insupportable, répugnant au point que le bamboula, cette danse que le nègre aime de passion, il cesse souvent de s'y livrer dès qu'il est affranchi, parce qu'elle appartient exclusivement aux esclaves. Nous avons vu un esclave qui avait racheté sa fille lui interdire le bamboula comme indigne d'une femme libre. La pauvre enfant n'avait pas encore les vanités de sa condition et aurait bien voulu redevenir esclave pour une heure ou deux.

Musiques contemporaines en Martinique

Nous aborderons ici les différentes musiques du 20-21èmes siècles de la Martinique. A l'image des autres îles de la zone caraïbe, la Martinique a suivi un schéma presque similaire marqué par les influences des différentes vagues d'immigration venues d'Europe et d'Afrique.

Mais son histoire d'île française qui a connu l'esclavage pendant près de deux siècles aura bien sûr marqué sa musique qui va emprunter des rythmes aussi bien aux ballets, valses et menuets français qu'aux musiques plus rythmées venues d'Afrique.

Bien que les musiques martiniquaises et guadeloupéennes présentent de nombreuses similitudes, elles ne sont pas les mêmes du fait de leur histoire. Ainsi la Guadeloupe qui a connu une première abolition de l'esclavage entre 1794 et 1802 s'était remise à la musique au tambour et à honorer leurs dieux, les religieux ayant fui l'île avant l'abolition ou ayant été déportés.

Rétabli en 1802, la musique populaire de la Guadeloupe est donc la musique africaine, créolisée au fil du temps. Ses chants dansés sont accompagnés de tambours et de chachas (maracas) alors que celle de la Martinique est un mélange de la civilisation africaine et française. Les danses chantées sont jouées par des instruments mélodiques : piano, flûte, clarinette, etc. accompagnés par des diverses percussions. C'est le même schéma que la musique populaire noire américaine.

Cependant la musique martiniquaise a gardé de l'Afrique sa prédominance du rythme et l'indissociabilité du chant et de la danse.

Le Bèlè martiniquais

Le bèlè (bel-air) est un art complet comprenant aussi bien des danses, du rythme, de la musique et de la parole ou conte. Folklorisée au cours du 20ème siècle rejetée par les élites, cette pratique populaire jouit d'un retour en grâce fulgurant. C'est un héritage des anciens esclaves qui le pratiquaient dans les rues Cases-Nègres aux abords des plantations en Martinique.

Tambour bèlèLe bèlè désigne à la fois la pratique artistique que le tambour bèlè utilisé et les valeurs de cet art qui sont le partage, la solidarité et la résistance culturelle.

Un chanteur mène la musique avec une voix qui porte alors que se développe un dialogue entre danseur et joueurs de tambour. Le tambour est accompagné par un rythme ti-bwa donné par deux baguettes qui percutent la partie arrière du tambour (voir image ci-dessous).

Le bèlè se compose de différents rythmes à 2 temps, 3 temps ou 4 temps. Ainsi le « bèlè douce » et le « bèlè pityé » sont joués sur des rythmes à 2 ou 4 temps. Le « grand bèlè », le « belya » et le « marim bèlè » sont des danses à 3 temps.

Dans le bèlè on danse courbé, les genou fléchis à la différence du « danmyé » qui est une danse de combat. Dans ces mouvements de lutte, le danseur de danmié doit pouvoir rebondir, lancer les pieds et les bras.

Le kalenda, autre rythme de 4 temps à la Martinique est la seule musique qui se danse seul en Martinique.

Illustration de danseurs du bèlèLes principales danses du noyau bèlè se dansent selon une structure carré comme le quadrille ou le grand bèlè. A l'intérieur des deux carrés, les danseurs se livrent à des prouesses individuelles, par deux.

Ainsi, il faut intégrer les codes gestuels et relationnels entre les danseurs dans le déplacement. La grâce, les échanges dans la danse, les rencontres rythmique suffisent à intéresser un spectateur qui découvre le quadrille.

Ti-bwa, instrument utilisé lors de la pratique du bèlèLes danses du bèlè se font en ronde (venezuel, kanigwé, woulé mango, ou le timbank) ou en ligne, qui impliquent des jeux entre les danseurs. Les danses diffèrent entre le nord et le sud de l'île car elles peuvent avoir des exécutions différentes. En fait, il existe un tronc commun et des diversités régionales. Pour voir des démonstrations de bèlè n'hésitez pas de vous rendre à la Maison du Bèlè à Sainte-Marie.

Artistes de bèlè :

Les maîtres du bèlè sont incontestablement Ti-Émile (Emmanuel Casérus) et Ti-Raoul (Raoul Edmond Mondésir), les autres grandes figures sont Félix Casérus, Dulténor Casérus, Vava Grivalliers, Berthé Grivalliers, Clothaire Grivalliers, Féfé Marolany, Paul Rastocle, Benoit Rastocle, Carmélite Rastocle, Apollon Vallade, Félix Cébarec, Génius Cébarec dit Galfètè, Stéphane Cébarec, Boniface Cébarec, Saint-Ange Victoire, Robert Dessart, Siméline Rangon.

Biguine et mazurka

Danse biguineLa biguine est une danse et une musique traditionnelle apparues en Guadeloupe puis en Martinique vers la seconde moitié du 19ème siècle. En effet, on en fait référence pour la première fois dans un article de M.Monchoisy, intitulé « les Antilles Françaises en 1893 » dans la Revue des deux mondes.

Elle suscita un grand engouement en France dans les années 1930 notamment lors de l'Exposition coloniale internationale de 1931, puis des années 1940 à 1960 alors que l'Occupation avait été peu propice à l'expression des artistes antillais.

Dans les années 70, sa popularité allait décroître avec l'arrivée de rythmes comme la ramba cubaine ou le compas haïtien.

Il existe deux principaux types de biguine antillaise française qui peuvent être identifiées sur la base de l'instrumentation dans la pratique musicale contemporaine : la biguine de tambour et la biguine orchestrée.

  • La biguine de tambour ou « bidgin bèlè » en créole est issue d'une série de danses bèlè effectuées depuis les premiers temps coloniaux par les esclaves qui habitaient les grandes plantations de sucre. Musicalement, le bidgin bèlè peut être distinguée de la biguine orchestrée par les moyens suivants : son instrumentation (tambour cylindrique unique membrané (bèlè)) et les bâtons de rythme (ti-bwa), le style de chants d'appel et de réponse, l'improvisation du soliste et la qualité de voix nasale.

    La biguine figurait dans les rituels de fertilité pratiquée en Afrique de l'Ouest, mais sa signification rituelle qui a disparu depuis en Martinique.
     
  • La biguine orchestrée est un mélange de musique traditionnelle bèlè avec les genres de danses européennes. Trois différents styles existaient : la biguine de salon, la biguine de bal ou la biguine de rue.

Alexandre StellioDans les années 1930, plusieurs artistes de la Martinique et de la Guadeloupe se sont installés en France métropolitaine où ils ont connu une forte popularité à Paris, plus particulièrement lors de l'exposition coloniale de 1931. Les premières stars comme Alexandre Stellio (photo ci-contre) et Sam Castandet deviennent populaires à Paris.

Entre 1930 et 1950, la danse biguine devient populaire au travers d'orchestres de danses des îles. Sa popularité à l'étranger s'est aussi éteinte tout autant subitement, mais elle est restée majeure en Martinique et en Guadeloupe jusqu'à l'avènement du compas en 1950. A la fin du 20ème siècle, les musiciens comme le virtuose clarinettiste Michel Godzom ont aidé à révolutionner le genre.

La biguine a plusieurs points commun avec le jazz en Nouvelle-Orléans et a même influencé son développement !

Artistes de biguine

Les grands noms de la biguine sont Manela Pioche, Roger Fanfant, Émilien Antile, Gérard La Viny, Al Lirvat, Léona Gabriel, Fernard Donatien, Sam Castendet, Robert Mavounzy, Barel Coppet, Ernest Léardée, Alexandre Stellio, Félix Valvert, Fernande de Virel, Moune de Rivel, Honoré Coppet, Hurard Coppet, Eugène Delouche, Marius Cultier, Paulo Rosine, Francisco, Maurice Jalier, Loulou Boislaville, Gertrude Seinin, Gisèle Baka, Malavoi, etc...

Le zouk

Kassav, les pionners du zoukOn situe la naissance du zouk à 1974 avec comme origine un groupe : Kassav ! Le zouk est une musique aux origines diverses, d'inspiration caribéenne et qui aujourd'hui est l'un des ciment de l'identité antillaise. Symboliquement c'est l'émancipation d'un peuple qui a su s'inventer sa propre musique, ses danses et plus large sa culture. Le mot « zouk » qui n'est apparu pour l'identifier que dans les années 1980, était autrefois utilisé pour désigner les lieux de danses réservés aux plus pauvres, selon le percussionniste martiniquais Henri Guédon. Encore plus anciennement au début du 20èe siècle, c'était pour qualifier un « bal chaud ».

Aujourd'hui le zouk, c'est un genre musical originaire des Antilles Françaises (Guadeloupe et Martinique) et la Guyane Française, popularisée en Europe par le groupe antillais Kassav avec notamment ses tubes « Zouk la sé sèl médikaman nou ni » ou encore « Syé bwa ». A noter que le mot créole « zouker » signifie « secouer ».

La naissance du zouk, commence avec la création du groupe Kassav. Pour la plupart des Antillais c'est ce groupe qui a créé les bases fondamentales et donné sa couleur musicale au zouk. A l'époque, les rythmes les plus écoutés sont le gwo ka guadeloupéen, la biguine, le compas, la kadans et la musique des « vidés » (rythme soutenu et entraînant des parades de carnaval).

Le zouk puise ses sonorités de la kadans un type de musique popularisée par le saxophoniste haïtien Webert Sicot et qui était jouée par Simon Jurad, le groupes les Aiglons, les Vikings, Expérience 7. En 1980, Pierre-Édouard Décimus, alors musicien dans le groupe kadans guadeloupéen « Les Vikings » depuis les années 1960 décide avec Freddy Marshall et d'autres musiciens antillais d'expérimenter de nouvelles sonorités. Très attaché à la musique populaire de carnaval, Décimus cherche à l'adapter aux technique musicales modernes. Ils recrutent Jacob Desvarieux alors guitariste de studio confirmé et Georges Décimus frère de Pierre-Édouard, bassiste.

Le groupe se forme au fur et à mesure. Ils rentrent au studio en Novembre 1980 et le premier album « Love and Ka » de Kassav paraît en début d'année 1981. A côté de la kadans, un nouveau genre musical est né, le zouk béton mais ne durera pas. Kassav a apporté de nouveaux sons, surtout au niveau des basses, claviers et cuivres donnant à cette musique, un air de modernité, de fête, une musique vivante et dansante en somme. Dans les années 1980, le groupe connaît un succès fulgurant. Jocelyne Béroard, Jean-Philippe Marthély, Patrick Saint-Éloi et Jean-Claude Naimro arrivent par la suite. Le groupes ainsi complété joue une musique marquée par la diversité de ses membres.

Cette collaboration entre ces artistes débouche sur un style nourri d'influences multiples, ouvert et constitutif d'une démarche musicale à part entière, en rupture avec les musiques antillaises de l'époque. D'autres musiciens vont alors suivre l'exemple de Kassav et faire vivre cette musique aux quatre coins du globe. Le succès de Kassav va croissant au point de recevoir le disque de Platine après un million de disques à travers le monde en 1989.

D'autres artistes vont éclore dans l'horizon de Kassav comme Francky Vincent et son « fruit de la passion », Zouk Machine dont le titre « mal'don » restera quatorze semaine numéro 1 dans le Top 50 français.

Le zouk en plein essor va croissant et va subir des transformations lui permettant d'élargir son public. De nouvelles tendances ayant le zouk comme origine apparaissent progressivement comme le zouk love.

Le zouk love se caractérise par un changement de tempo, beaucoup plus lent que dans le zouk originel. L'engouement sera très vite fort notamment auprès des jeunes. Il est l'équivalent du slow français avec un côté chaloupé et langoureux. Novatrice, cette danse pleine de sensualité va de paire avec des textes traitant le plus souvent de l'amour ou des relations entre hommes et femme.

Jean-Michel Rotin, précuseur du zouk R'n'BPlus tard arrivera un nouveau style de zouk, le zouk R'n'B sous l'influence de la musique américaine qui connaît un succès international. Jean-Michel Rotin est l'un des premiers à avoir lancé cette nouvelle tendance avec sa chanson « lè ou love ». Il se démarque également à sa façon de danser le break sur sa propre musique issue du courant zouk. Par la suite, de nombreux artistes sont intéressés par cette nouvelle variation du zouk profitant de la tendance R'n'B et le rap des année 1990. Des passages rappés sont ajoutés aux chansons toujours sous le même tempo originel du zouk.

Le zouk ragga sera une tendance qui a immédiatement séduit les jeune. C'est un mélange de raggamuffin et de zouk. Les artistes Don Miguel et Daddy Harry sont les premiers à lancer ce mouvement aux Antilles.

Malgré toutes ces variances, le zouk originel, des premiers temps, appelé aujourd'hui « zouk rétro » remplit les boîtes des nuits, toutes les générations étant un peu nostalgiques de ce zouk d'antan (des années 1990).

Artistes de zouk:

Kassav, Zouk Machine, Francky Vincent, Joëlle Ursull, Expérience 7, Albéric Louison, Éric Virgal, Richard Birman, Jean-Michel Jean-Louis, Patrick André, Eric Dihal, Chris Locard, Chiktay, Alex Catherine, Gilles Floro, Princess Lover, Leila Chicot, Fanny J, Harry Diboula, Dominique Lorté, Jocelyne Labylle, Jocelyne Varane, etc...

Bibliographie

- L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789 : d'après des documents des archives nationales, Lucien Pierre Peytraud
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Des Colonies françaises. Abolition immédiate de l'esclavage, Victor Schoelcher
- La musique dans la société antillaise 1635-1902 (Martinique-Guadeloupe), Jacqueline Rosemain
Martinique : bèlè d’hier et d’aujourd’hui, François Bensignor