La Seconde Guerre mondiale en Martinique et pour les Martiniquais

En 1918, lors de l’Armistice signée par les Allemands et les Français, personne ne s’imaginait qu’une nouvelle guerre encore plus longue et avec plus de pays concernés allait avoir lieu 21 ans après. Il faut dire que la paix conclue en 1918 loin d’avoir éteint les braises avait plutôt aiguisé les ambitions des perdants.

Les années 30, un monde en ébullition

Une situation tendue en Europe et dans le monde

Les années 1930 sont marquées par différentes oppositions entre les États en Europe et dans le monde.

Photo d'Adolf HitlerTout d’abord l’Allemagne qui digère mal sa défaite lors de la Première Guerre Mondiale, Adolf Hitler le nouveau Chancelier arrivé au pouvoir en 1933 affiche clairement les volontés expansionnistes de l’Allemagne en Europe en annexant l’Autriche en 1938 puis les territoires Sudètes (territoires de la Tchécoslovaquie peuplées par des Allemands) la même année, la Tchécoslovaquie en 1939 dans son ensemble avant de ravager la Pologne quelque mois plus tard.

Photo de Francisco FrancoEn Espagne, suite à la guerre civile débutée en 1836 entre les Républicains et les Nationalistes, Francisco Franco de la mouvance d’extrême-droite s’adjuge le pouvoir après la victoire des nationalistes sur les Républicains.

Benito Mussolini avec Adolf HitlerEn Italie, Benito Mussolini (sur la photo à gauche d'Adolf Hitler) également à la tête d’un mouvement d’extrême-droite, le Parti Fasciste qu’il a créé, arrive au pouvoir en 1922 après une situation de chaos politique. Il promet de redorer le blason national en Europe et progressivement s’empare de tous les pouvoirs. Il envahit l’Abyssinie (Éthiopie actuelle), soutient Franco lors de la Guerre civile en Espagne et se rapproche de l’Allemagne Nazie d’Hitler avec comme apogée la signature du Pacte d’acier qui scelle l’union militaire entre l’Allemagne, l’Italie et le Japon.

L’Empire du Japon de son côté qui souhaite s’étendre sur le continent asiatique envahit la Chine en 1937 et s’adjuge un vaste territoire à l’Est de la Chine. La Chine ne compte pas se laisser ravager et combat férocement l’envahisseur.

A noter que le Krach boursier de 1929 avait considérablement affaiblit les économies européennes. Face à la montée du chômage, la forte hausse des prix et la baisse de la production industrielle, des politiques protectionnistes avaient été mises en place pour protéger les nations.

Front populaire, salariés célébrant les mesures socialesEn France, la situation économique est moins critique que les autres pays européens mais la population reste insatisfaite des réponses apportées à la crise. Les gouvernements se succèdent et c’est le Front Populaire, union de toutes les tendances de gauche qui va réussir à contenter les Français sur le point économique. En 1936, suite à un mouvement de grève massif des avancées sociales importantes sont accordées lors de la signature des accords Matignon (semaine de 40 heures, 2 semaines de congés payés, reconnaissance des droits syndicaux et une hausse des salaires).

Ces mesures ne suffisent cependant pas à éradiquer les difficultés financières et la population française reproche au gouvernement Léon Blum sa passivité, son absence de politique claire et son laxisme face aux différentes agressions des gouvernements nationalistes environnants. De plus, les composantes des différents partis de gauches qui le composaient n’étaient pas d’accord sur les stratégies à adopter face à ce qui se passait en Europe.

En 1937, le gouvernement du Front Populaire est renversé. Édouard Daladier du Parti Radical revient au pouvoir.

Le contexte économique en Martinique

En Martinique, la situation de la période d’entre-deux-guerres est différente. Lors de la guerre 14-18, la production de rhum était à son apogée. Les demandes avaient été très élevées en métropole et le secteur était flamboyant pour l’île au point de devenir le premier produit d’exportation.

Cette surproduction de rhum pour la métropole s’expliquait par son utilisation comme récompense pour motiver les troupes dans les tranchées humides et froides, dans les hôpitaux et les pharmacies comme désinfectant voire donné aux malades et amputés pour atténuer leurs douleurs mais également pour fabriquer des explosifs.

Le sucre n’est pas en reste. Si le sucre de canne avait perdu de son importance au début du 20ème siècle avec l’arrivée de celui dérivé de la betterave, il etait devenu le recours en raison des campagnes françaises ravagées par la guerre.

Coupeurs de canne à sucre en MartiniqueLe secteur agricole était donc le premier employeur de l’île avec comme produit phare la canne à sucre. Cependant cette embellie ne profite pas du tout aux ouvriers agricoles qui endurent de longues journées dans les champs pour des salaires modestes. Suite à plusieurs mouvements de grève en 1922, les ouvriers obtiennent une maigre augmentation du prix de la journée de travail. Mais les tensions restent nombreuses.

Entre 1920 et 1939, les demandes en sucre de canne baissent drastiquement et de nombreux petits planteurs doivent mettre la clé sous la porte. En effet, le sucre colonial devait affronter à nouveau le sucre des betteraviers et le gouvernement décida de baisser le quota de sucre importé en France métropolitaine. De nombreux coupeurs de canne furent licenciés et se retrouvèrent sans emploi. Les conflits sociaux et grèves se multiplient dans les campagnes.

Pour les planteurs, la banane devient alors le recours et une option de choix étant donné que depuis 1931, une loi protectionniste garantissait aux colonies d’être protégée sur le marché national par rapport à la concurrence étrangère.

A noter que les employeurs locaux avaient pu bénéficier d’une exception et les lois sociales adoptées en métropole dans le cadre des accords de Matignon par le gouvernement Léon Blum ne s’appliquaient pas aux Antilles.

Le contexte politique

Au niveau politique, les tensions sont fortes sur l’île où trois grandes personnalités de la mouvance socialiste s’affrontent :

Victor SévèreMaire de Fort-de-France pendant quasiment entre 1900 et 1945 (sauf de 1907 à 1908, de 1919 à 1924 et sous l’Amiral Robert entre 1941 et 1943) Victor Sévère est un bourgeois de couleur qui suscite l’admiration de la population au point d’être surnommé « l’Imperator ». Il a également été Député de la circonscription du Sud et du Nord de la Martinique sous l’étiquette des Radicaux-Socialistes.

Henry LémeryHenry Lémery qui avait perdu toute sa famille lors de l’éruption de la Montagne Pelée le 8 mai 1902 a été Député (1914 à 1919) puis Sénateur à partir de 1920. Partisan de l’assimilation de la Martinique à la France il propose une loi dès 1919 visant à intégrer pleinement les colonies antillaises dans la France en leur attribuant le statut de Département français, sans succès.

Joseph LagrosillièreLe plus populaire reste Joseph Lagrosillière. Fondateur de la Fédération Socialiste de la Martinique il est un farouche défenseur de l’assimilation pleine et entière de l’île à la France. Comme Lémery il a perdu de nombreux membres de sa famille lors de l’éruption de la Montagne Pelée. En 1910, il est élu Député du Nord et Maire de Sainte-Marie, mandat qu’il conservera pendant 26 ans. Il quitte le groupe socialiste national suite à des désaccords sur la question de l’assimilation. Localement, il était très populaire pour ses propositions de lois visant à des mesures sociales pour les ouvriers agricoles.

La vie politique de l’époque est marquée par des bouleversements constants que ce soit dans les élections locales (municipales, conseil général) que nationales (députés et sénateurs) le tout sous fond de fraude électorale et d’interventionnisme des gouverneurs de la Martinique fortement opposés à Lagrosillière.

Au niveau des gouverneurs, les changements sont tout aussi fréquents. Entre 1919 et 1939, la Martinique changera 22 fois de gouverneur !

De cette tension au niveau politique a découlé plusieurs drames tragiques comme les assassinats de Charles Zizine et Louis des Étages à Ducos, partisans de Lagrosillière ou un conseiller général, partisan de Lémery au Diamant.

Aussi, il reste difficile de faire la lecture de la vie politique de l’époque car les amis d’hier étaient les ennemis d’aujourd’hui ou l’inverse et il était possible de placer ses pions dans des camps radicalement opposés. Par exemple, Lagrosillière qui défendait les ouvriers agricoles était une figure écoutée des Békés.

Un fait divers marqueur d’une société post-esclavagiste

Comme expliqué dans notre article sur l’histoire de la Martinique, l’île avait connu près de deux siècles d’esclavage et son abolition en 1848 n’avait pas permis aux anciens esclaves de pouvoir s’affranchir complètement du pouvoir des Békés, les anciens propriétaires d’esclaves.

Indemnisés suite à l’augmentation des coûts qu’allait occasionner la fin d’une main d’œuvre gratuite et servile, les Békés détenaient encore tous les pouvoirs économiques et étaient bien positionnés dans le milieu politique de l’île. Aussi, ils occupaient les meilleurs postes administratifs et seuls les « mulâtres » avaient réussis à tirer leur épingle du jeu.

Les anciens esclaves condamnés à retourner travailler pour les descendants des anciens esclavagistes se mobilisent à de nombreuses reprises contre les faibles salaires obtenus malgré de longues journées dans les champs de canne de l’île. Les grèves et autres mobilisations étaient fermement réprimées. Rarement les ouvriers agricoles obtenaient satisfaction.

C’est dans ce contexte qu’un fait divers allait marquer une île où le climat était déjà tendu.

Eugène Aubéry (1879-1942) que nous avons présenté sur notre site comme étant le propriétaire du Château Aubéry, un Blanc d’origine modeste avait rapidement franchi les rangs de la caste Béké en épousant la fille d’un des plus riches et honorés d’entre eux, Berthe Hayot. Rapidement, il allait prendre la direction de l’usine du Lareinty qui produisait du rhum et du sucre. Suite à une enquête fiscale, il est accusé de fraude dans la présentation de l’actif de la société Lareinty dissoute en 1924.

André AlikerAcquitté par les tribunaux, le journaliste André Aliker (photo ci-contre) l’accuse de corruption dans le journal communiste La Justice lors d’une parution en 1933.

Le 12 janvier 1934, le cadavre d’André Aliker est découvert sur une plage. Son assassinat consterna une grande partie de l’opinion et provoqua une vive émotion dans toute l’île. Les suspects furent jugés à la Cour de Bordeaux et tous furent acquittés.

Pour la famille de la victime, c’est au clan Aubéry qu’il impute ce crime et un des frères d’André Aliker tenta d’abattre Eugène Aubéry sans succès en janvier 1936. Déféré au tribunal mais soutenu par l’opinion il est également acquitté.

Ce crime allait laisser un sentiment d’injustice dans l’opinion où pour beaucoup la caste béké restait protégée par la justice et que l’égalité des droits prévue lors de l’abolition n’était pas réelle.

Assimilation ou autonomie ?

Le fait divers précédemment évoqué mettait en difficulté une thématique majeure des hommes politiques de l’époque, l’assimilation. Beaucoup étaient en faveur d’une assimilation pleine et entière à la France mais cette idée ne pouvait croître dans la population que si le climat était apaisé entre toutes les composantes de la société.

Or, il apparait que les Noirs descendants d’esclaves n’allaient pas supporter l’assimilation si les Békés disposaient de faveurs et de privilèges comme lors de l’esclavage et ils avaient un poids électoral conséquent. En effet, ils constituaient la majorité de la population et leurs voix comptent depuis la mise en place du scrutin universel masculin en 1875.

Des différentes lois instaurées à l’abolition de 1848 seuls les mulâtres avaient su tirer leur épingle du jeu et avaient pu accéder aux postes prestigieux notamment dans l’administration. Aussi, ils étaient également largement favorables à l’assimilation. Selon ces derniers, pour rendre l’opinion encore plus favorable à l’assimilation, il fallait multiplier les écoles, la maîtrise parfaite du français et la représentation de la fonction publique. Cela va être grandement opéré sur place.

Dans les faits, l’assimilation française était déjà largement en place depuis 1848 à travers divers aspects. La religion catholique, première croyance en France était largement répandue dans l’ensemble de la population et le patriotisme n’était pas à remettre en question quand on savait que plus de 30 000 jeunes martiniquais avaient rallié la métropole lors de la guerre 14-18.

A vrai dire en amont de la Première Guerre Mondiale, les politiques avaient largement plaidé en faveur de l’impôt du sang c’est-à-dire la volonté de « donner son sang » (s’engager dans les forces militaires nationale) à la France pour prouver son attachement plein et entier au pays. Cette mesure était déjà en place dans les colonies françaises en Afrique et elle sera adoptée en Martinique en 1913.

Autre preuve de l’attachement de la Martinique à la France, lorsque des rumeurs font écho que la Martinique serait cédée aux États-Unis contre leur intervention en faveur de la France lors de la Première Guerre Mondiale, les réactions d’opposition à ce projet sont nombreuses. En Martinique, on est fier d’être Français et on y est profondément attaché. L’autre explication aussi était que les Noirs redoutaient de subir le même sort que les Noirs Américains sous le régime de ségrégation à l’époque. En 1919, le Ministre des Colonies dément cette rumeur ce qui rassure l’ensemble de la population.

Enfin, il faut savoir que l’assimilation totale n’était pas souhaitée par tous car elle posait un problème important en matière économique et financière. Les colonies d’Amérique disposaient d’un statut fiscal particulier et adopter la même taxation qu’en France allait augmenter les prix et créer de nouveaux impôts. Victor Sévère allait donc plaider pour une exemption au niveau fiscal.

Au niveau de la pensée également, une assimilation totale fait débat. De jeunes étudiants partis en métropole, Aimé Césaire notamment ont pu se rendre compte sur place qu’ils ont une identité et une culture propre différentes de celles des jeunes français métropolitains. L’assimilation serait selon eux, le renoncement de l’identité créole et africaine et conduirait à une aliénation culturelle.

La finalité de l’assimilation était que la Martinique puisse devenir un département français mais pour assister à l’aboutissement de cette démarche, il faudrait attendre l’ascension d’un jeune député, Aimé Césaire.

Voici le contexte martiniquais à l’aube d’une guerre qui allait changer la face du monde entier et aussi la Martinique.

Du déclenchement de la guerre à l’Occupation Française

De la drôle de guerre à l’Europe allemande

À la suite de l’envahissement de la Pologne par les troupes d’Hitler, les Britanniques puis les Français déclarent la guerre à l’Allemagne. A l’époque les tensions dans le monde entier étaient telles que cette guerre ne choque personne quel que soit le point où on se trouvait sur le globe.

Les puissances alliées avaient à plusieurs reprises reculé face aux exigences d’Hitler qui progressivement agrandissait son territoire. Il ravage l’Autriche en Mars 1938, les Sudètes Tchèques en Octobre 1938 puis le reste de la Tchécoslovaquie en mars 1939. Quand il s’attaque à la Pologne dans sa conquête de l’ouest, les Alliés se rappellent au pacte de protection signé avec les Polonais et lui déclarent la guerre.

Les 8 premiers mois sont marqués parce qu’on appelle la « drôle de guerre ». Les puissances s’observent sans véritable agression. A part à la frontière franco-allemande, il ne se passe rien. Tout cela laisse le champ libre aux troupes hitlériennes pour s’emparer sans lutte de la Pologne.

Malgré cela, l’Allemagne n’est pas redoutée. Personne en France ne pense que l’Allemagne pourra résister à un assaut conjugué des forces françaises et britanniques. Pour les dirigeants de l’époque, l’Allemagne ne dispose pas de fonds suffisamment importants pour faire face à deux puissances européennes.

Sans le savoir, la période de drôle de guerre a permis à Hitler de considérablement renforcer ses armées dans le but de frapper à l’ouest.

En Avril 1940, le Danemark et la Norvège tombent et un mois plus tard c’est au tour de la Belgique et des Pays-Bas alors neutres dans ce conflit de céder aux armées hitlériennes.

La France est rapidement ravagée et le 22 juin 1940 elle capitule. Symboliquement, l’armistice est signé à Rethondes dans le même wagon où les deux pays avaient signé l’armistice de la guerre 14-18. Seule l’Angleterre et son empire colonial résistent encore aux Allemands qui ont désormais un empire en Europe qui va de l’URSS à l’Atlantique.

Les troupes d’Hitler rentrent à Paris et défilent sur les Champs-Elysées. Pour eux, ils ont pris leur revanche sur 14-18.

En Martinique, une forte adhésion à la cause nationale

Dès le début de la guerre, le Ministre des Colonies de l’époque, Georges Mandel donne des instructions aux gouverneurs. Le 30 août 1939, il rappelle de sa retraite l’Amiral Georges Robert.

Amiral Georges RobertNé en 1875, Georges Robert avait fait une brillante carrière qui l’avait conduit aux plus hautes fonctions de la marine. Il avait été Vice-Amiral en 1830 puis commandant-en-chef de l’escadre de la Méditerranée. Le 14 septembre 1939, il arrive en Martinique en tant que Haut-Commissaire de la République et Commandant du 4ème Théâtre d’opérations de l’Atlantique ouest.

Ses principales missions sont de maîtriser la navigation maritime entre les États-Unis et l’Europe, d’assurer la défense et maintenir l’ordre intérieur dans les colonies des Antilles et d’Amérique du sud (Guadeloupe, Martinique et Guyane).

Le Gouverneur de l’époque, Georges Spitz transmet la parole nationale et le discours patriotique est largement répandu. Les appels pour aller défendre la « mère Patrie » et la propagande nationale sont nombreux.

5 300 jeunes martiniquais sont mobilisés : 4 000 réservistes et 1 300 appelés. 2 000 furent appelés en France.

Il a été décidé de protéger la Martinique en cas d’attaque d’un sous-marin allemand. Pour cela, des nids de mitrailleuses et quelques canons hors d’usage sont installés sur tout le pourtour de l’ile pour faire croire aux Allemands qu’ils ne pourraient pas attaquer l’île.

Les appelés restés dans l’île s’apprêtent en cas d’une attaque terrestre. Une ligne de défense et de protection civile est créée en Martinique qui ne servira à rien finalement. Sur place personne ne croit réellement à une attaque.

En Martinique également, la confiance était de mise, on croit à une victoire rapide de la France. La France avait la meilleure armée du monde et localement tout le monde pense qu’elle ne fera qu’une bouchée des Allemands. Aussi quand la France tombe rapidement sous la coupe d’Hitler tout le monde est sous le choc. Les familles des engagés de l’armée française redoutent le pire pour leurs proches partis rejoindre les troupes nationales.

Le 18 juin 1940, depuis Londres Charles de Gaulle, un général de brigade appelle les Français de l’hexagone et de l’empire colonial à se rallier à lui pour battre l’envahisseur aux côtés des Alliés. Le 24 juin, plusieurs élus locaux se réunissent pour clamer « leur attachement indéfectible à la France et volonté de continuer la lutte aux côtés des Alliés avec l’Empire français d’outre-mer ».

A noter que tous les élus ne partagent pas le même avis, certains élus de Martinique ont adhéré au gouvernement de Vichy. Le sénateur Henry Lémery, présenté auparavant a été brièvement Ministre des Colonies dans le gouvernement de Pierre Laval sous l’égide du Maréchal Pétain du 12 juillet au 6 septembre 1940. A Hitler qui avait déclaré en parlant de lui que la France était en train de se « négriser » il avait répondu avec audace : « non, monsieur Hitler, c'est l'Afrique qui est en train de franchiser ». Joseph Lagrosillère, président du Conseil Général également avait approuvé les positions de Lémery.

Les dents longues de l’Amérique et l’Angleterre

Au niveau économique, la guerre était arrivée alors la situation était plutôt idéale. La campagne sucrière de 1939 a été exceptionnelle. Les planteurs y voyaient même une aubaine, c’était l’opportunité de faire de gros bénéfices comme cela avait été le cas lors de la Première Guerre Mondiale. Aussi n’hésitèrent-ils pas de faire de la surproduction (60 460 tonnes de sucre, 80 305 hectolitres de rhum).

Cette décision a été prise sans aucune anticipation et les problèmes rencontrés sont nombreux (manque d’engrais, de matériel de remplacement pour les usines, de magasins dans les usines, de foudres et de tonneaux pour stocker le rhum). En 1941, moins de 28 000 hectolitres étaient exportés vers la métropole.

En se focalisant sur la culture de la canne à sucre, ils avaient délaissé les cultures vivrières et localement la pénurie se fait ressentir. La nourriture venue de métropole est rare sur les ports locaux en raison du conflit et la population souffre de cette insuffisance de produits vivriers.

En manque de denrées alimentaires, l’Amérique devient la solution de recours ultime pour les îles de la Caraïbe isolées de leur métropole européenne. De son côté, la principale préoccupation des Américains est davantage la possibilité de voir les Allemands débarquer dans ces îles voisines proche du Canal du Panama où ils commerçaient avec l’Amérique du Sud.

En effet, le Canal du Panama à proximité est un enjeu crucial pour les Américains qui exerce un contrôle sur le canal. Le 30 juillet 1940, lors de la Déclaration de La Havane ils annoncent assurer l’administration des îles de la Caraïbe dont les françaises jusqu’au rétablissement du pouvoir en France.

Le 4 août 1940, l’Amiral Robert rencontre son homologue américain, John Greenslade qui est alors Commandant en chef des forces des États-Unis dans la Caraïbe, ensemble ils négocient :

  • l’achat de denrées alimentaires et de matériels notamment du mazout pour les navires et les usines électriques à moindres coûts pour les colonies françaises des Antilles,
  • une liberté de manœuvre des navires français dans la zone des Antilles tout en informant le gouvernement des États-Unis de chaque déplacement.

L’achat de produits américains sera financé par les fonds français bloqués aux États-Unis. Mais peu de temps après l’accord, l’Amiral Robert dénonce le non-respect de cet accord en parlant même de blocus.

Mais dans la réalité, il faudra cependant attendre cependant Avril 1943 pour que les Américains mettent fin définitivement à l’accord signé avec l’Amiral Robert à la suite de nombreux désaccords. L’Amiral Robert n’appréciait pas le fait de rendre des comptes aux Américains et pensaient que les achats de nourriture se faisaient au-delà des prix estimés. De là, le blocus devient total et la nourriture n’arrive plus dans l’île depuis les États-Unis ce qui conduira à un manque cruel de denrées alimentaires dans l’île.

Outre les Américains qui avaient fait main basse sur la gestion de la zone caribéenne, les Britanniques étaient également redoutés. En effet, la Martinique était devenue la base navale de la France après l’Occupation. De nombreux pétroliers étaient stationnés dans la rade de Fort-de-France.

Plus tard, l’unique porte-avions français, le « Béarn » chargé de 106 avions y sera aussi stationné puis 4 croiseurs auxiliaires dont l’un d’eux, le « Émile Bertin » possédait un véritable trésor, plus de 8000 caisses de 35 kg d’or représentant une valeur de 21 milliards de francs. Il restera en Martinique jusqu’à la libération de la France en 1943.

Aussi, la marine anglaise lourdement handicapée par la perte de plusieurs navires coulés par des sous-marins allemands présents dans l’Atlantique étudie la possibilité de s’emparer des bateaux français dans une île qui était désormais coupée de sa métropole. Ils avaient cruellement besoin de pétroliers pour acheminer le pétrole depuis l’Amérique vers leur pays.

Contrairement aux ordres reçus de la métropole, l’Amiral Robert entretenait des relations régulières avec les Anglais. La situation de pénurie alimentaire qu’il rencontrait dans les Antilles Françaises changeait forcément la donne. Les Anglais qui possèdent plusieurs îles dans l’archipel des Petites Antilles mettent la pression et le menacent de blocus commercial or les îles françaises ont besoin de commercer avec les Anglais. C’est donc ainsi que les Anglais sont autorisés à se rendre à Pointe-à-Pitre à plusieurs reprises notamment.

Cependant, un événement va amener Robert à veiller au grain. Du 3 au 6 juillet 1940, les Britanniques attaquent une escadre de la Martine nationale française présente dans le port militaire de Mers-el-Kébir dans le golfe d’Oran en Algérie. Cette attaque est surprenante dans la mesure où les deux pays étaient encore alliés malgré l’armistice signée entre la France et l’Allemagne Nazie.

Dès lors, Robert veille au grain. Il est hors de question de voir la France se faire déposséder de son bien. Les Anglais sont repoussés farouchement des eaux des Antilles Françaises et les relations se tendent entre les Anglais et l’administration française aux Antilles.

La Martinique sous l’Occupation Française entre soumission et rébellion

« An tan Robè » (au temps de Robert)

D’abord opposé à l’armistice français, l’Amiral Robert se rallie pleinement au Gouvernement de Pétain à la surprise de tous. Dès lors il impose des règles dures sur place allant jusqu’à susciter la peur.

Après sa nomination en Martinique, il devient le haut-commissaire du régime de Vichy pour les territoires français d’outre-mer de l’Atlantique Ouest (Antilles, Guyane et Saint-Pierre et Miquelon). Dès lors, il applique à la lettre la politique de Pétain à quelques exceptions près.

Tout d’abord, il prend en main pleinement la politique de l’ile. Les partis politiques et syndicats sont interdits, les maires sont tous révoqués et les conseils municipaux et le Conseil Général dissous. Il nomme alors de nouveaux maires choisis parmi les Békés les plus conservateurs.

La presse est censurée. La religion catholique est imposée à tous. Les loges maçonniques sont fermées. Les mesures antisémites de Vichy sont mises en place sans toutefois que la répression soit systématique. Seuls 36 juifs sont recensés mais pas automatiquement déportés. L’amiral Robert n’était pas un collaborationniste convaincu.

Des crucifix sont installés dans toutes les classes des écoles. Les élèves doivent chanter le nouvel hymne « Maréchal nous voilà » et procéder au salut quotidien des couleurs avant le début des classes. Les programmes scolaires sont modifiés avec notamment la suppression des doctrines étrangères et le renforcement de la morale et de l’instruction civique pour renforcer l’amour à la patrie.

Les filières techniques, manuelles et agricoles sont valorisées au profit de l’enseignement général dont les débouchés étaient limités. Le but était de favoriser la formation de futurs ouvriers qui étaient la main d’œuvre la plus recherchée dans l’île.

La répression est telle que même le courrier est ouvert et décortiqué par la police. Tous les opposants au régime sont durement châtiés voire internés au camp militaire de Balata. Durant les 2 ans et demi du régime Pétain en Martinique, il y aura 83 condamnations à mort par contumace.

La consommation de rhum est interdite et lourdement sanctionnée (plusieurs mois en prison), de même que le carnaval qui est banni.

La parole nationale est fortement diffusée sur des panneaux d’affichage, à la radio, dans la presse contrôlée. Des festivités sont organisées comme la fête de Jeanne d’Arc et diverses manifestations pour « exalter les valeurs de la France nouvelle ». Cependant le pouvoir dur de Robert ne va pas durer.

Sa chute va arriver notamment en raison de la sous-alimentation qui frappe l’île. Comme indiqué auparavant depuis l’Occupation de la France par les Allemands, la nourriture autrefois acheminée depuis la France n’arrive plus et les pénuries de nourriture entraînent la famine dans l’île. Le peu de nourriture qui parvient dans l’île est réquisitionné par l’entourage de l’Amiral et la marine.

La situation au niveau alimentaire critique de la Martinique a eu de fortes répercussions sur la population de l’île. Si la natalité est restée stable (environ 5400 naissances/par en 1941 et 1942), la mortalité a elle fortement progressé en particulier à Fort-de-France où elle passe de 954 à 1529 en 1943. De nombreux Martiniquais fuient vers les îles anglophones environnantes.

Très peu de nourriture arrivait sur les marchés et quand elle arrivait les prix flambaient. Alors que le salaire journalier d’un ouvrier agricole à l’époque était de 20 à 24 francs pour un homme et 9 à 10 francs pour une femme, la morue qui était un produit phare de l’alimentation se vendait à 32 francs le kilo (contre 3,85 francs en 1939), le litre d’huile à 31,85 francs (contre 5 francs en 1939), un œuf de 8,50 francs (contre 65 centimes en 1939) ou encore le kilo de haricots à 13,20 francs (contre 4,75 francs en 1939) au pire de la crise alimentaire en 1943. La viande était exclusivement réservée aux plus riches. L’alimentation des plus pauvres se composait surtout de bananes

Outre la nourriture, tous les produits importés de première nécessité étaient en manque tels que le tissu, les vêtements, les chaussures ou le savon. Concernant le savon, des petites industries locales se mirent à en fabriquer, preuve qu’il était possible de fabriquer des produits de première nécessité localement sans passer par l’exportation même si la quantité produite restait insuffisante.

Les chaussures avaient disparu des rayons des magasins. La population rurale marchait essentiellement pieds nus et n’utilisait des chaussures que quand il y avait de grands évènements (messe du dimanche et autres grandes occasions). Dans les villes, les paires de chaussures étaient fabriquées avec des pneus. Au marché noir, les rares chaussures qui étaient en vente coûtaient 571,35 francs (soit l’équivalent de 29 journées de travail pour un homme) en 1943 contre 119 francs en 1939.

Les ventres vides, la colère gronde dans l’île. Les premiers dissidents à Robert parviennent à fuir et se réfugier vers les États-Unis le 11 octobre 1942. Victor Sévère, Maire déchu de Fort-de-France avant l’Amiral Robert et Emmanuel Rimbaud, un béké organisent une grande manifestation dans la capitale le 24 juin 1943 criant « Vive la France, Vive de Gaulle ».

Les leaders sont arrêtés mais 5 jours plus tard à la suite de l’appel du camp gaulliste plus de 10 000 Martiniquais descendent manifester dans les rues. Le commandant Tourtet qui dirigeait 9 compagnies du camp de Balata se rebelle. Il annonce le ralliement des militaires aux Forces Françaises libres. Près de 2 000 martiniquais se masse devant la caserne Gallieni pour protéger les militaires. L’Amiral Robert menace de tirer sur les militaires mais voyant l’opposition grandissante face à son régime n’eut d’autres choix que de renoncer au pouvoir.

Il se réfugie dans la rade de Fort-de-France sur le croiseur Émile-Bertin et négocie une sortie avec les Américains qui dominaient la zone. Le 14 juillet 1943, après l’aval des États-Unis, la Martinique via Henri Hoppenot (1891-1977) alors délégué du Comité français de libération nationale proclame le ralliement de la Martinique à la France libre. Le 15 juillet 1943 avec l’accord des Américains, l’Amiral Robert est extradé vers Porto-Rico.

A la Libération, Robert sera arrêté et emprisonné. Condamné à 10 ans de travaux forcés, il est finalement remis en liberté pour « services rendus » à la Martinique. Sa gestion est jugée comme étant une volonté de maintenir les Antilles dans la France. Il décède à Paris le 2 mars 1965.

L’organisation de la dissidence

Le 18 juin 1940, depuis Londres, le Général de Gaulle appelle à la résistance contre l’envahisseur nazi. Le message ne trouvera pas tout de suite une réponse favorable en Martinique à la vue du contexte. C’est au fur et à mesure que la résistance va se construire pendant que la colère gronde et les privations s’accumulent sous Robert.

Si les élus coloniaux et ceux présents en métropole tels Henry Lémery étaient tous ralliés à Pétain, les conseillers généraux eux ont fait le choix de la France Libre dès Juin-Juillet 1940 tout en restant discret. Opter pour la France libre dans la Martinique de Robert c’était mettre sa vie en danger.

De 1940 à 1943, la Martinique va rester globalement fidèle au régime de Vichy. Les lois et programmes pétainistes sont appliqués de manière stricte par l’administration Robert. Ainsi, à l’appui de forts moyens militaires, la Martinique devient un véritable État policier. Tout était sous contrôle de l’administration coloniale. Les informations sur ce qui se passe au niveau national arrivent difficilement et avec beaucoup de retard en Martinique. Le courrier est scrupuleusement scruté à tel point qu’une résidente de Fort-de-France en 1941 écrivait à un de ses amis en métropole : 

J’ai eu de la chance de recevoir ta lettre car il faut éviter de parler politique, évènements nationaux et internationaux. Vous paraissez beaucoup plus libres en France qu’ici. 

Pourtant la dissidence existe en Martinique. Elle s’est manifestée sous diverses formes plus ou moins pacifique. « Dès le début de 1941, le Quartier Général des Forces Françaises à Londres fut informé qu’une effervescence se manifestait à la Martinique et en Guadeloupe » selon Armand Nicolas, écrivain de l’histoire de la Martinique. D’une part, il y a la résistance armée et de l’autre part ceux qui optent pour rejoindre les forces de la France libre via les îles anglophones voisines, Dominique et Sainte-Lucie.

Le départ vers les îles anglophones proches s’organise grâce à des marins-pêcheurs qui contre une certaine somme, aident les dissidents à fuir l’île en les transportant sur leurs gommiers. Trois grands axes de départ existent, un vers le sud dans la région Sainte-Anne-Diamant, un autre dans le centre à Fort-de-France et le dernier pour le nord à Grand’Rivière et au Prêcheur. De Gaulle avaient placé des représentants à la Dominique et Sainte-Lucie pour accueillir.

Dissidents antillais sur un portLes dissidents sont ensuite acheminés aux États-Unis puis ensuite ils sont envoyés en Angleterre ou le plus souvent en Afrique du nord.

Robert, informé par les ralliements par voie marine a organisé la répression. Des patrouilles sont envoyées en mer et sur les côtes pour arrêter les contrevenants. Les rondes sont nombreuses et les bateaux sont parfois coulés ou les occupants sont arrêtés. En Mars 1943, 250 arrestations ont lieu et 83 sont condamnés à mort par contumace. Malgré la menace qui pèse, le mouvement est marche et les ralliements s’accroissent.

L’autre opposition s’est manifestée au niveau politique. L’arrivée de Robert avait considérablement changé la donne dans l’île et les craintes d’un peuple fraîchement affranchi étaient grandioses.

En effet, la répression était forte et les pertes de liberté nombreuses (suppression du suffrage universel masculin, démission des maires et du conseil général remplacés par des personnalités de la caste Béké, retour du paternalisme). Refusant ces nouvelles règles, Victor Sévère démissionne de ses postes de Maire et de Député.

Le débarquement oublié des Antillais en Provence

Nous allons maintenant aborder un évènement souvent oublié de la Seconde Guerre Mondiale. Totalement éclipsé par le débarquement des forces anglaises et Américaines en Normandie, on en oublie souvent les Antillais et surtout les Africains qui ont débarqué en Provence dans le but de libérer la France, la « mère-patrie ». Pourtant ce débarquement pour les forces alliées sera tout autant important dans la reconquête de l’Europe.

Débarquement de ProvenceLe débarquement en Provence dans le cadre de l’opération Dragoon avait comme objectif principal de chasser les Allemands de France notamment dans les villes de Toulon et Marseille puis de remonter le Rhône pour effectuer la jonction avec les armées des forces alliées en Normandie.

Les armées étaient majoritairement composées des volontaires de la France Libre, d’anciens soldats de l’armée d’armistice autrefois soumis au régime de Vichy, de volontaires des colonies du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et de dissidents de la Guadeloupe et de la Martinique. Ces derniers étaient estimés à 2000 membres soit une infime partie des 260 000 combattants de la Première Armée Française dirigée par le général Jean de Lattre de Tassigny.

A partir du 15 août 1944, 2000 dissidents antillais qui avaient répondu favorablement au message de De Gaulle débarquent sur la plage de Calavaire dans le Var.

Partis dès Juin 1940, au péril de leur vie via les réseaux de résistance des îles voisines (Dominique, Sainte-Lucie) ils étaient d’abord envoyés pour être rassemblés aux États-Unis encore ségrégationnistes alors que les Békés dissidents étaient envoyés à Londres.

Camp militaire de Fort-Dix dans le New JerseyIls sont ensuite transférés à Fort Dix dans le New Jersey où ils sont entraînés et équipés pour intégrer ensuite les Bataillon de Marche des Antilles du numéro 1 à 5 puis ce qui s’appellera le 21ème Groupe antillais de Défense contre avions (GADCA).

Ces combattants antillais seront envoyés à Casablanca en Octobre 1943 puis deux mois plus tard en Tunisie pour intégrer la 1ère division française libre. En juin 1944, ils prennent le nom de 21ème groupe antillais des Forces Terrestres Antiaériennes. Ils participeront pourtant à la lutte antichar et aux combats d’infanterie.

Les premiers combats, ils les mènent en Italie au printemps 1944 où les Alliés vont perdre plus d’une centaine de milliers de soldats. Parmi ces nombreuses victimes figurent de nombreux Antillais. Ils sont ensuite regroupés pour participer au débarquement de Provence dans la nuit du 16 août 1944. Après le débarquement des troupes, la libération de la Provence sera rapide. Les deux seules villes où les Allemands vont proposer des combats acharnés sont Toulon qui tombe finalement le 23 août et Marseille le 29 août.

Une fois la Provence libérée, les soldats martiniquais continuent la marche vers la vallée du Rhône avant d’être dispersés un peu partout (Territoire de Belfort, Alsace, Franche-Comté) pour mener les combats sur d’autres fronts.

Les combats duraient des jours complets sans arrêt. Les combats en Alsace ont été particulièrement longs. Pour certains, ils ont dû combattre tous les jours pendant près d’une année. Dans les rangs des combattants antillais il y avait notamment Frantz Fanon et Marcel Manville.

A l’armistice, tous les rescapés sont renvoyés en Martinique. Durant cette épreuve difficile, ils avaient aussi dû faire face au racisme voyant 6 000 compagnons d’arme africains être remplacés par les Forces France de l’Intérieur.

Pire, à leur retour en Martinique c’est l’anonymat complet, parfois même l’incompréhension de la population locale qui les attendaient. De nombreuses personnalités antillaises avaient fait état de traitements racistes lors de leur séjour en métropole. Aussi sur place beaucoup ne comprennent pas le sacrifice des combattants martiniquais pour des « gens qui ne les aimaient pas ».

Constitution Conseil National de RésistanceLors de la constitution du Conseil de la Résistance, les Antillais comme tous les coloniaux ne sont pas conviés en raison de la méfiance qu’ils inspiraient aux dirigeants de l’époque. Il faut dire que la période est celle où nourrissent les premières idées de décolonisation française voire d’indépendance. Il faudra attendre des décennies avant de les voir être honorés sur le plan local puis national.

Les Martiniquais partent en guerre, récit d’un héros oublié

Rémy Oligny, un dissident martiniquais a raconté son histoire au journaliste Julian Bugier au cours d’un reportage intitulé Seconde Guerre mondiale : hommage aux combattants antillais lors du journal télévisé du 13 août 2014. 

J’avais 18 ans quand je suis parti de la Martinique. Mes parents avaient entendu l’appel : « Moi, général de Gaulle, j’appelle tous les Français qui veulent rester livres à m’écouter et me suivre. »  Nos parents nous avaient tellement appris à aimer la patrie que nous n’avons pas pu résister, mais c’était très difficile à cause du régime de l’Amiral Robert.

Avec d’autres dissidents, Rémy Oligny décide de dire non au régime de Vichy et s’en va à l’âge de seulement 18 ans. En janvier 1943, il embarque avec d’autres jeunes à bord d’un bateau de fortune et ceci en toute clandestinité.

« Je suis parti un matin à 8h. J’avais un costume de pêcheur. J’ai fait semblant de partir à la pêche ». Arrivé sur l’île de la Dominique, il est ensuite acheminé aux États-Unis dans le New Jersey où il sera entraîné à faire la guerre, faire corps à l’ennemi. D’un jeune adolescent, il faut en faire un combattant.

Vous êtes endurcis, vous êtes disciplinés. Et demain, vous pourrez rencontrer l’ennemi avec la certitude. 

Quand on lui demande comment s’est passé son séjour dans une Amérique ségrégationniste, il explique que « sur le costume américain que l’on nous avait donné, nous avions brodé le mot « France » des deux côtés. Dès qu’on voyait que nous étions Français, nous n’étions plus des Noirs ».

Sa première bataille serait celle de Monte Cassino en Italie, un lieu où les alliés ont perdu 115 000 hommes où il « perd un camarade de classe » qu’il a « laissé dans un cimetière ». « C’est encore douloureux » avoue-t’il.

Puis il fera partie du Débarquement en Provence avant de participer aux combats dans la vallée du Rhône, ensuite en Alsace où il connaîtra 350 jours continus de front et de combat.

Quand Strasbourg est enfin libéré en Novembre 1944, il rentre en Martinique.

A son retour en Martinique, aucune haie d’honneur ni même une cérémonie officielle ne l’attendait, juste sa mère qui était venue le chercher en taxi pour le ramener à la maison.

Il conclut par sa tristesse de l’anonymat de son retour alors qu’il avait pris part à la guerre. Il faudra attendre plusieurs décennies pour enfin voir ce héros sortir de l’anonymat en étant décoré de la Légion d’honneur par le Président de la République, François Hollande à l’occasion des 70 ans du Débarquement de Provence en 2014. Rémy Oligny était alors âgé de 91 ans !

Fin de guerre et conséquences

A la fin de la guerre l’engagement des Antillais sera clairement sous-estimé et pas reconnu à sa juste valeur. Au contraire, on se méfie des motivations qui avaient amenés les Antillais à rallier les Forces Françaises Libres.

En Juillet 1945, le ministre des Colonies Paul Giacobbi donne des instructions au Conseil National de la Résistance (C.N.R.) visant à se méfier des associations de résistants antillais et coloniaux en général : 

Il convient de souligner malheureusement les arrière-pensées politiques quelquefois antifrançaises bien qu’elles s’efforcent de se réclamer d’un organisme supérieur jouissant d’une autorité indiscutée. Les titres de leurs membres, difficilement comparables à ceux de héros du maquis, ne leur donnent qu’une ressemblance lointaine avec les associations constituées par d’authentiques ‘Résistants’ ayant fait leur preuve, soit pendant l’occupation étrangère, soit au cours des combats de la Libération.

, des propos rapportés par Eric Jennings dans son ouvrage Vichy sous les tropiques.

Le ministre des Colonies ajoute également qu’il fait la différence entre « la Dissidence de la Résistance en métropole » car « les Allemands ne sont présents ». Il s’agit pour lui « d’une opposition au régime de Vichy, or si combattre Vichy c’est être résistant, on ouvre la boîte de Pandore ». Les Antillais opposant au régime de Vichy tout au long de la Seconde Guerre Mondiale étaient appelés dissidents et jamais résistants. Le mot dissident était celui que l’Amiral Robert avait utilisé pour qualifier les réfractaires à son régime. Ce mot avait persisté tout au long de la guerre et jusqu’à maintenant il est rare de voir le mot « résistant » associé avec les Antillais ayant participé à la guerre.

Aussi les Antillais et tous les combattants des colonies ne sont pas autorisés à rejoindre le CNR. Ils ne seront pas considérés comme des résistants à part entière et il faudra attendre plus de 60 ans pour qu’ils aient enfin droit à un hommage national !

A leur retour en Martinique, les héros finissent rapidement dans l’anonymat. Aucun monument à leur mémoire n’est érigé dans l’île. Un le sera dans l’île de la Dominique.

Plus de 60 ans après la fin de la Grande Guerre, un monument voit le jour en Martinique sur la place de la Savane et est inauguré en présence de dissidents martiniquais.

Le 25 juin 2009 lors d’une visite dans l’île, Nicolas Sarkozy alors Président de la République Française rattrape plus de 60 ans d’oubli en accordant aux dissidents antillais la Légion d’Honneur. Neuf Martiniquais sont honorés lors de la visite de Nicolas Sarkozy en Martinique selon l’historienne spécialiste de l’histoire miliaire Sandrine Andrivon-Milton présente lors de l’évènement :

  • Robert Guitteaud, né en 1925 à Trinité
  • Paul Bedot, né le 8 février 1918 au Gros-Morne
  • Frantz Ega, né le 19 février au Marin
  • Louis de Lucy de Fossarieu, né le 24 novembre 1924 au François
  • Eugène Jean-Baptiste, né le 13 juillet 1923 à Grand’Rivière
  • Pierre Menialec, né le 29 juin 1920 au Lorrain
  • Fernand Boniface Pain, né le 14 mai 1925 à Fonds-Saint-Denis
  • René Velasques, né le 5 janvier 1923 à Sainte-Marie
  • Henri Joseph, né le 11 mai 1926 à Cayenne

Parcours de dissidentsA noter que la réalisatrice Euzhan Palcy a réalisé un long métrage sur les dissidents martiniquais, Parcours de Dissidents sorti en 2006. Durant ce documentaire vous pourrez retracer l’itinéraire de milliers d’hommes et de femmes qui ont choisi de partir défendre la France dans les années 40.

Hommage aux dissidents antillais à l'élyséeA l’occasion de l’anniversaire des 70 ans du débarquement de Provence, d’autres vétérans martiniquais de guerre 39-45 ont été décorés par François Hollande en 2014 à l'occasion d'une réception à l'Elysée dont Rémy Oligny précédemment évoqué.

Conclusion

Diverses conclusions sont à tirer de la Seconde Guerre Mondiale en Martinique. L’une d’entre elle est que la Martinique a été grandement touchée par les évènements qui se passaient à plus de 8 000 km et que beaucoup d’hommes et de femmes de l’île, plus de 5 000 martiniquais au total n’ont pas hésité à tout abandonner (famille, leur île natale, un climat favorable) pour défendre la France, ce pays auquel ils étaient pleinement et entièrement attachés. L’engagement des Martiniquais s’est fait spontanément bien avant même que le message patriotique soit largement relayé sans les médias.

Souvent la Guerre Mondiale est résumée à Hitler et au nazisme. Elle a rappelé au monde entier les dérives de doctrines haineuses et racistes. Si cette part sombre de l’humain doit être remémoré sans cesse pour ne pas rééditer les mêmes erreurs, il ne faut pas oublier non plus tous les héros qui sont morts et sont tombés car eux avaient un autre idéal pour l’être humain et leur cohabitation. Aussi en tant que Martiniquais, nous n’oublierons pas toutes ces histoires d’hommes et de femmes partis ou restés sur place pour combattre le mal souvent au péril de leur vie. 

Enfin, la situation alimentaire de la Martinique doit aussi interpeler. Comment une île tropicale qui a un climat propice à la culture maraichère et frugale a pu souffrir de la famine une fois que les importations de France métropolitaine puis le blocus américain ait été décidé ? A l’époque, la vision colonialiste faisait que la Martinique n’était vue que comme une terre à exploiter et rentabiliser. Ainsi le produit phare d’exportation, la canne à sucre, occupait l’essentiel des terres agricoles. C’est quand la pénurie alimentaire s’est fait ressentir qu’il y a eu un changement de cap et il était déjà trop tard. N’est-ce pas une leçon pour aujourd’hui voire le futur ?

Bibliographie

Histoire de la Martinique, De 1939 à 1971 - Tome 3, Armand Nicolas
Histoire des Antilles Françaises, Paul Butel
La dissidence aux Antilles (1940-1943), Éric T. Jennings