Pourquoi mangeons-nous autant de morue ?

Morue d'AtlantiqueLa morue est très présente dans l'alimentation martiniquaise. On la mange fréquemment avec nos « légumes pays », en chiquetaille, avec des dombrés, dans les acras, en gratin ou encore notre féroce d'avocat. Mais pourquoi mangeons-nous autant de morue alors qu'il ne s'agit pas d'un poisson endémique des Petites Antilles ?

L'histoire de la morue en Martinique remonte à l'esclavage. La pêche en elle-même remontait à plusieurs siècles déjà. La morue est un mot français utilisé pour regroupé des poissons de plusieurs espèces de l'ordre des Gadiformes, des poissons osseux à nageoires rayonnées qui comprend dix familles. Ces poissons vivent exclusivement en eaux froides dans les hautes parties du globe. Les Norvégiens la pêchaient depuis le 11ème siècle. Plus tard ce sont les Allemands, Danois, Anglais et Hollandais qui s'intéressent à cet « or blanc ». La France s'intéresse à la morue à partir du 13ème siècle depuis ses ports de Haute-Normandie pour en pécher depuis la mer du Nord puis autour de l'Islande.

Lors des explorations dans la zone Amérique, un explorateur italien, Giovanni Caboto, appelé Jean Cabot en France, qui travaillait au service de la Couronne d'Angleterre, aborde les côtes de l'île de la Terre-Neuve, une grande île située à proximité du Canada et de Saint-Pierre et Miquelon en 1497. Dans ses notes de voyage, il est épaté par la quantité de morue qu'il y trouve. Il déclare que « la quantité de morue autour de l'île est si importante qu'il suffisait de plonger un seau dans l'eau pour en récupérer ».

Morue poissonAprès les rapports de Jean Cabot, Portugais, Espagnols, Français et Anglais se ruent vers les côtes de Terre-Neuve pour y pêcher de la morue. Les Basques et les Bretons s'étaient déjà attelés à la pêche de la morue dans la zone. A l'époque la morue ne constituait pas un plat noble. C'était un poisson réservé à la population la moins aisée au moment où le saumon lui était présent sur les tables des banquets.

Quand les colons européens s'installent dans la Caraïbe, ils connaissent assez mal les ressources agricoles et piscicoles présents dans les îles. Leur adaptation alimentaire est très difficile et même si les Indiens Caraïbes et Arawaks les initient et leur livrent leur savoir sur les fruits et légumes de l'île, ils préfèrent toutefois se tourner vers l'Europe pour acheminer la nourriture qu'ils avaient l'habitude de manger.

La morue qui était un poisson réservé aux « populations de masse » en Europe présente de nombreux avantages pour l'introduire dans les colonies : 

  • Elle se conserve facilement (plusieurs mois) en étant séchée et salée,
  • Elle est pêchée à proximité des îles de la Caraïbe, en Amérique du Nord à la Terre-Neuve où elle se trouve en abondance,
  • C'est un source de protéines qui peut intégrer l'alimentation des esclaves lors du jeûne du Carême
  • La morue n'étant pas un aliment noble son coût est très faible.

Dès 1520, les Européens s'installent à Terre-Neuve pour monter des camps de pêche dans la zone. Les batailles entre Anglais et Français pour acquérir cette île sont nombreuses. C'est un enjeu de posséder l'île qui fournissait une bonne partie de l'alimentation des esclaves. Durant plusieurs siècles, la Terre-Neuve sera un lieu de pêche intensive de morue.

Morue salée et séchéeUne fois pêchée, la morue est vidée, l'arête enlevée et elle est légèrement salée pour extraire l'eau. Elle est ensuite rincée et mise à sécher pendant une quinzaine de jour au vent et soleil, cette méthode donnait un goût plus fin. Des millions de tonnes de morue traversaient ainsi l'Atlantique chaque année à destination du Portugal et de l'Espagne.

Une fois déchargés en Europe les navires prenaient une cargaison de marchandise européenne et se dirigeaient vers les Antilles pour apporter le matériel nécessaire à la récolte de la canne à sucre. Arrivés aux Antilles, ils vidaient les navires de leur cargaison dont la morue « bas de gamme » à vil prix pour nourrir les esclaves dont le dur travail dans les plantations nécessitait un bon apport de protéines et de sel.

Ainsi, la morue rentre vite dans l'alimentation des esclaves. La ration qu'il devait manger sera même définie plus tard dans le Code Noir, le livre régissant l'esclavage dans les colonies françaises. Il y était écrit que la morue devait être consommée en alternance avec de la viande salée mais cette dernière beaucoup plus chère parvenait plus rarement dans « l'assiette » de ces derniers. Le gouvernement local de l'époque ne pouvant vérifier l'application de cette mesure, certains esclaves se voyaient parfois condamnés à ne manger que de la morue.

A la fin de l'esclavage, la morue a continué d'arriver dans les assiettes des nouveaux libres et des Indiens et Kongos venus travailler dans les champs de l'île.

Acras de morueAujourd'hui la morue continue d'être un élément majeur de l'alimentation martiniquaise. Cependant la morue que l'on retrouve dans notre assiette provient en grande majorité de la Norvège et plus de Terre-Neuve comme auparavant. Cela est dû aux questions d'accords commerciaux en vigueur dans l'Union Européenne. On la retrouve généralement vendue dans un emballage en plastique déjà séchée et salée, le plus souvent de grands morceaux ou sinon émiettée. De nos jours avec une gastronomie beaucoup plus mise en valeur, la morue est davantage perçue comme faisant partie du patrimoine gastronomique que comme un simple aliment réservé aux anciens esclaves. Alors vous êtes plutôt chiquetaille ? macadam ? tinin lanmori ? acras ? dombrés ou féroce d'avocat ?

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