Février 1794 : la non-abolition de l’esclavage

Contexte : la Révolution Française

Tableau d'Eugène Delacroix, 28 juilletDès le début du 17ème siècle, les puissances européennes se ruent à la course aux îles de la Caraïbe et s’emparent des lieux. Ils s’y installent et consacrent une vaste partie des terres aux plantations de produits à forte valeur ajoutée sur les marchés européens. On aurait pu croire que leur installation et mainmise des territoires auraient arrêté les luttes intestines entre Européens mais il n’en sera rien, bien au contraire. Ravir un territoire c’était aussi s’approprier les richesses des plantations qui s’y trouvaient et les vendre en Europe. C’est ainsi que les îles sont fréquemment attaquées par des rivaux toujours plus ambitieux et cupides.

En 1789, la Martinique est française, un Gouverneur nommé par les services du Roi relayait les décrets et les mettait en application dans l’île. Il siégeait à Fort Royal, la capitale administrative de l’île désignée comme résidence des gouverneurs depuis Jacques Dyel du Parquet.

Les propriétaires terriens descendants des colons français possédaient de vastes propriétés sur lesquelles travaillaient des esclaves et disposaient aussi de pouvoir politique ayant des relais en France et auprès du gouverneur.

La République Française : partisans et opposition

En 1789, la Révolution et la déclaration de la République en 1792 ont des répercussions directes sur les colonies. Les planteurs soutiennent la Monarchie qui leur avait garanti les pleins pouvoirs sur les esclaves et rejettent la Révolution Française et les idées des Lumières qui réclamaient une égalité entre tous les hommes quel que soit leur statut et la fin du trafic négrier. Le 11 Août 1792, la prime accordée à la Traite des Noirs est supprimée par l’Assemblée appelée La Convention. Elle entendait diminuer le trafic négrier jusqu'à progressivement l'arrêter. La Martinique obtient 3 députés contre 2 auparavant.

Comte de Rochambeau (Donatien-Marie-Joseph de Rochambeau)La Convention décide d’envoyer 2 000 hommes à la Martinique sous les ordres du Comte de Rochambeau de son nom Donatien-Marie-Joseph de Vimeur (photo ci-contre) pour imposer la République à la Martinique. Quand ils débarquent dans la Baie de Fort-de-France, les représentants du parti du Roi arborent le drapeau blanc, signe de soutien à la royauté et s’opposent au débarquement des troupes de la République. Ils quittent la Martinique pour Saint-Domingue sans avoir réussi à imposer la République dans l’île. Le Parti des Planteurs prend le pouvoir en Martinique. Ils envoient deux représentants, Dubuc et Curt à Londres pour y rencontrer deux frères de Louis XIV exilés en Angleterre et leur affirmer leur soutien plein et entier.

D’autres voix dans l’île étaient plus enclines à accepter la République. Il s’agissait des Noirs Libres possédant des propriétés et des esclaves mais ne parvenant pas à être aussi puissants que les Blancs qui détenaient les plus grandes Habitations et les pouvoirs décisionnels. Dans l’Assemblée Coloniale où il ne restait que des partisans de la République, ils décident d’accepter la mise en place de la République à la Martinique. Les Royalistes avaient décidé de quitter de cette assemblée mais ne renonçaient pas à soutenir le maintien du système monarchique en Martinique.

L’Assemblée Coloniale, rassurée par Jean-Baptiste Raymond de Lacrosse, officier de la Marine Française et interlocuteur direct des planteurs sur le fait qu’ils ne perdraient pas leurs esclaves et que ces derniers resteraient leur propriété, les propriétaires terriens se résolvent à accepter la République. Le 28 Janvier 1793, ils envoient un courrier à Lacrosse signifiant leur accord. Le Comte de Rochambeau, alors Gouverneur Général de Saint-Domingue arrive avec ses troupes en Martinique le 3 Février 1793. Il installe le régime républicain, devient lui-même Gouverneur de la Martinique. Symboliquement, Fort-Royal devient Républiqueville.

Le 1er Février 1793, la France entre en guerre contre l’Angleterre. Cela redonne espoir aux Royalistes dont les représentants Dubuc et Curt avaient signé l’accord de Whitehall avec les Anglais. Cet accord prévoyait que les planteurs auraient aidé les Anglais à s’emparer de la Martinique, qu'une fois la Martinique anglaise, que les Anglais placeraient les colons blancs en tête des institutions jusqu’à ce que la Monarchie soit rétablie en France. Ils étaient convaincus que la République ne serait qu’un mauvais souvenir sous peu. L’exécution de Louis XIV fut un énorme coup dur pour les Royalistes.

À Case Navire (ancien nom de la commune de Schœlcher), un colon, De Percin et ses compagnons royalistes s’emparent des batteries et des fortins et très vite contrôlent le centre de l’île.

Face à la menace interne, Rochambeau tente de rallier les hommes de couleurs à la cause républicaine. Il les promeut à des postes prestigieux ou des grades militaires. Parmi eux, Magloire Pélage, un noir libre qui était soldat du 1er bataillon de chasseurs est nommé sergent par Rochambeau. Il promet la liberté aux esclaves qui rallieraient les camps de la République et créé deux bataillons d’hommes de couleur.

1 334 hommes de couleurs volontaires allaient ravir aux Royalistes le centre de la Martinique qui était passé sous leur contrôle. Les Royalistes fuient la Martinique et abandonnent leurs propriétés. Rochambeau ne cessa de faire l’éloge de ses hommes qui avaient aidé à vaincre les Royalistes.

Dans la nuit du 18 au 19 juin 1793, les Anglais débarquent à proximité de Saint-Pierre pour s’emparer de l’île et sont vaincus par les armées de Rochambeau. Les Anglais se retirent de l’île et amènent sur leurs bateaux les Royalistes qui fuient vers les îles environnantes (Trinidad, Grenade, Barbade et la Dominique).

Le 6 février 1794, les Anglais reviennent, mieux préparés que la première fois et attaquent trois points de l’île : Sainte-Luce, Trinité et Case-Navire. Rochambeau tente de résister au mieux, il s’enferme à Républiqueville qui est assiégée mais il n’a pas d’autres choix de capituler le 21 Mars 1794. La Martinique est désormais anglaise !

Le 4 Février 1794, la Convention avait décidé de l’abolition de l’esclavage dans les colonies mais pour l’application d’une loi en Martinique, il fallait qu’un bateau gouvernemental arrive dans l'île avec les décrets et autres textes officiels et qu’ensuite ces lois soient énoncés par le gouverneur or dès le 6 Février, les Anglais s’étaient emparés de la Martinique. L'esclavage ne pouvait pas être aboli dans l'île.

C’est ainsi que la Martinique ne connaîtra jamais l’abolition de l’esclavage de 1794 car elle était désormais une colonie sous pavillon anglais.

Conclusion

Si la Révolution Française avait soufflé comme un vent d’espoir pour les esclaves, la libération n’était pas pour tout de suite. Les colons n’entendaient pas perdre une main-d’œuvre qui leur permettaient d’avoir des revenus lucratifs. Les Noirs libres de couleur qui possédaient des propriétés étaient partagés. Eux aussi avaient des esclaves et les perdre aurait eu des conséquences économiques colossales. C'est ainsi que certains ont rejoint en partie les Royalistes et que d'autres, très souvent moins fortunés, avaient fait le choix de la République qui prônait l'égalité entre hommes.

Entendant défendre coûte que coûte leur position sociale et leurs richesses, les colons n'avaient-ils pas hésité à trahir la France et pactiser avec les Anglais pour attaquer les Français ? Dans un monde où la patrie était inscrite au plus profond que soit, n'était-ce pas surprenant de voir des élites rallier leur pire ennemi par avidité et peur de déclassement ?

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